" La Sage-femme est la gardienne des Femmes et de la physiologie de la vie. "

                                                                                                                                                                                             Laetitia Rustenmeyer, Sage-femme Holistique

     

Article "TELQUEL" la césarienne au Maroc

Par Cerise Maréchaud

Enquête. Césariennes à la chaîne
(DR)

Dans les cliniques privées, de plus en plus d’enfants naissent par césarienne. Une tendance inquiétante, qui pose de vraies questions de société.


Assise au bord du lit d’une chambre inoccupée, au 2ème étage d’une clinique casablancaise, Hana, voile rose et blouse blanche, feuillette le registre des naissances : “Depuis lundi, on a eu vingt-cinq accouchements : onze par voie basse et quatorze césariennes, précise notre sage-femme. C’est plutôt équilibré… Parfois c’est vingt

césariennes pour trois accouchements normaux !”. Certes, une partie de ces césariennes – incision chirurgicale de la paroi abdominale – est due à des raisons médicales. Mais au Maroc, bon nombre de ces interventions pratiquées dans les cliniques s’avèrent médicalement injustifiées.
Pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les naissances par césarienne devraient être comprises entre 5 et 15%. Une majorité de cliniques marocaines, elles, affichent un taux de plus de 60%. “Jusqu’à 90%”, assure cette autre sage-femme. Pas de statistiques officielles, mais des estimations fondées sur de nombreux témoignages. “Plus de la moitié de ces césariennes sont programmées, et encore, une bonne moitié pour des raisons de convenance”, observe le Dr Chafik Chraïbi, chef du service gynécologie-obstétrique à la maternité du CHU de Rabat. “C’est devenu une solution de facilité”, affirme-t-il.

Questions de sous
La césarienne présente, en fait, nombres d’avantages : rapide, planifiable, balisée, elle facilite l’organisation du service, permet aux maternités de réduire le nombre de gardes et de maximiser le flux de clientèle. “En une demi-heure l’affaire est pliée, au lieu de six à douze heures pour un accouchement par voie basse”, explique le Dr Chraïbi. “Ce n’est pas pour arranger l’emploi du temps des médecins”, conteste le Dr Chenfouri, gynécologue libéral à Casablanca, qui estime le taux de césariennes à 50% (déjà bien au-dessus des recommandations de l’OMS, ndlr). “D’ailleurs la plupart des césariennes sont faites en urgence. Et une femme césarisée mobilise une chambre deux fois plus longtemps” argumente-t-il.
Une naissance par césarienne rapporte aussi plus d’argent. Selon l’établissement, l’intervention varie entre 4000 et 15 000 dirhams. Mais coûte toujours deux fois plus qu’un accouchement normal. “Oui, ça fait tourner les cliniques. Elles vous déroulent le tapis rouge pour vous faire opérer”, lance le Dr Chraïbi. Quoi qu’un peu mal à l’aise, le directeur d’une clinique casablancaise nie en bloc l’argument financier : “Une fois payé l’anesthésiste, les prestations, la chambre…ça ne rapporte quasiment rien à la clinique, 3000 DH tout au plus. Avec l’extension de l’assurance-maladie, le prix a beaucoup baissé”. Dans sa maternité, “60% des naissances ont lieu par césarienne”, reconnaît-il, arguant que “la clinique absorbe des cas difficiles, qui n’ont pas réussi à accoucher normalement à l’hôpital ou qui ont déjà eu une césarienne et pour lesquels il est déconseillé d’accoucher par voie basse ensuite. Si on accueillait le tout-venant, on en ferait moins !”, poursuit le directeur.
Et pourquoi se priver, quand la césarienne est de surcroît mieux remboursée par la sécurité sociale ? “Sur une facture totale de 11 000 DH, on n’a payé que 3000”, compte ce couple. “Pour un accouchement par voie basse à 6000 DH, la mutuelle privée de mon mari plafonne à 2500 DH contre 10 000 DH pour une césarienne, ça revient donc plus cher”, confirme Maria Smouni, kinésithérapeute au CHU Ibn Rochd.

Une procédure à risques
Autre argument récurent des médecins : l’augmentation du risque médico-légal, autrement dit des procès intentés par les familles. “C’est un problème sociétal, l’exigence du risque zéro, surtout quand on paie, confirme le Dr Chenfouri. Il y a beaucoup de procès pour des bobos, le gynéco maintenant a même peur d’utiliser le forceps ou la ventouse lors d’un accouchement normal !”. Ce que confirme une gynécologue libérale, exerçant à Casablanca, traînée en justice il y a sept ans : “Lors d’un accouchement par voie basse, l’enfant est né avec une malformation. La femme était indisciplinée, elle criait, s’est détachée le pied. Il n’y a pas eu faute médicale. La patiente a pourtant été indemnisée et mon assurance m’a couverte, raconte le médecin. Mais maintenant, je l’avoue, je ne me casse pas la tête, je fais deux-tiers de césariennes. 40 % sont programmées, les autres sont décidées si le col ne s’ouvre pas au bout de deux heures de contractions. Je ne cours plus de risque, je césarise, c’est plus facile”.
Mais que vaut ce principe de précaution quand on sait que la césarienne est une opération qui présente trois fois plus de dangers que la voie basse, selon l’OMS ? Pour la mère : risque d’hémorragies, rupture utérine, infection de la cicatrice…et la faible probabilité d’accoucher ensuite normalement. La plupart du temps, une césarienne en appelle une autre et les risques augmentent à chaque nouvelle opération. Les bébés nés par césarienne sont davantage exposés à des problèmes respiratoires (asthme, etc.). Sans oublier la perte progressive du savoir-faire médical à force d’éviter les accouchements par voie basse. Selon de nombreux spécialistes internationaux, un taux raisonnable (20 à 30%) de césariennes est un critère de qualité de la médecine. Paradoxalement, au Maroc, on présente la banalisation de la césarienne comme le résultat du progrès médical et une forme de l’obstétrique moderne. “Les estimations de l’OMS sont anciennes (1985, ndlr), les risques ont diminué avec les nouvelles conditions d’asepsie et d’anesthésie, maintenant une simple piqûre dans le dos suffit”, reconnaît le Dr Chraïbi. “Aujourd’hui le taux de natalité a beaucoup baissé donc les risques sont démultipliés. Une femme se dit ‘j’aurai deux enfants, mais je veux les avoir bien !’, estime de son côté le Dr Chenfouri. Et les cicatrices sont de moins en moins inesthétiques, ça encourage les femmes”.

Changement de mentalités
Force est de constater que les médecins font de plus en plus face à des patientes mal renseignées, mais qui ne veulent pas entendre parler d’un accouchement par voie basse. “Si on n’accepte pas, la patiente va voir ailleurs, poursuit ce directeur. Au Maroc, vous savez, nous sommes beaucoup de médecins libéraux pour une clientèle réduite”. Ce sont donc les futures mamans qui exigent ces césariennes “de confort”. “Elles veulent une obligation de résultat, c'est-à-dire mettre au monde sans souffrance des bébés bien portants. Elles refusent l’épisiotomie et même la péridurale, à cause de rumeurs disant que cela provoque des paralysies”, explique le Dr Chenfouri. Pour Maria Smouni, enceinte de son troisième enfant après deux accouchements par voie basse, “les femmes sont mal informées, notamment sur la péridurale, pourtant ça apaise vraiment les douleurs !”.
Sur un forum Internet dédié aux femmes enceintes, Ihssane rapporte les propos de sa mère : “Elle me dit que je suis folle si j’ai envie de souffrir et de me déchirer le vagin. Pire encore, c’est ma sœur, médecin de surcroît, qui lui a dit ça !”. L’argument est récurrent : “Beaucoup de femmes ont ainsi peur que leur vagin se distende (au niveau du périnée) car ça peut gêner leurs relations sexuelles”, confie Hana. Selon cette sage-femme, il faut aussi compter avec le stress de la vie professionnelle : “Les femmes n’ont plus la même patience, elles ne veulent pas abîmer leur corps. Par contre, plus on descend dans l’échelle sociale, moins une césarienne est acceptée. Dans les milieux populaires, une vraie femme met au monde dans la douleur”.
L’idée de donner naissance à un enfant sans douleur est de fait totalement illusoire, même par césarienne. “Pendant une semaine, je ne pouvais pas me lever, ni bouger ni éternuer, je ne pouvais rien faire. Le plus dur c’est qu’au début je ne pouvais pas m’occuper de mon bébé”, regrette Farida sur un forum. Dans sa chambre rose au surlendemain d’une césarienne pour son premier enfant, Nabila, le visage souriant mais contracté, témoigne : “J’aurais préféré souffrir pendant plutôt qu’après… Ceci dit je ne regrette rien, le cordon était enroulé autour du pied et après cinq heures de contractions j’ai accepté la césarienne. Mais autour de moi beaucoup de femmes la choisissent d’emblée. C’est un changement de mentalités”.

Une banalisation (in)acceptable ?
Beaucoup de gynécologues ne jouent pas assez la sensibilisation et la transparence. “C’est vrai, normalement en médecine il y a un devoir de consentement éclairé. Mais on camoufle, on enjolive la chose, confesse une gynécologue libérale. Ici ce n’est pas comme en Europe, les femmes sont très influençables et paranos, si on les informe des risques on les perd. La médecine c’est un peu du marketing. Alors on dit ‘ikoune khir’. Même pour nous, par superstition”. Deux des médecins interviewés ont d’ailleurs reconnu préférer la césarienne pour leur épouse ou leur fille.
Mais cette banalisation est-elle normale ? Est-elle médicalement positive, déontologiquement et éthiquement acceptable ? Contacté par TelQuel, le ministère de la Santé ne semble pas se sentir concerné. “Il s’agit du secteur privé”, nous répond-on au service règlementation. Dr Abdelouahed Ambari, président régional (Grand Casa) du Conseil de l’ordre des médecins, temporise : “A ce jour, il n’y a pas de statistiques officielles, et en quatorze ans, je n’ai reçu aucune plainte pour une césarienne imposée et qui aurait permis d’ouvrir une enquête. En revanche, j’en ai reçu pour souffrances fœtales”, conclut-il. Comprenez, la césarienne arrange tout le monde…


Hôpital public. 13% de césariennes
Quelle que soit l’ampleur du recours aux césariennes, cela ne concerne que le secteur privé. “On parle d’une tranche très privilégiée de la population, puisque 40% des femmes enceintes ne sont même pas suivies”, rappelle cette sage-femme. Au Maroc les trois-quarts des 600 000 accouchements annuels ont lieu à l’hôpital, où la césarienne n’est utilisée en moyenne que pour “13% des naissances”, estime le Dr Chafik Chraïbi du CHU de Rabat. “Ça va de 20% dans une maternité spécialisée en réanimation maternelle et néonatale, à 8% dans les hôpitaux périphériques et centres de santé. Là, il s’agit d’un besoin non satisfait : manque d’équipements, pas assez de médecins, la sage-femme gère tout” , ajoute-t-il. Dans les campagnes, pas de césarienne : les femmes accouchent en milieu non médicalisé, d’où des taux de mortalité maternelle (227 pour 100 000) et infantile (40 pour 1000) très élevés au Maroc. Entre public et privé règne un déséquilibre peu favorable à la santé publique.


Vécu. “C’était un ultimatum”

Témoignage de Nadia et Bachir, parents d’un premier enfant né par césarienne.

“La grossesse a été sereine, je tenais à un accouchement normal, j’ai fait du yoga, des cours de respiration. Le jour où j’ai perdu le bouchon, j’ai commis l’erreur, par peur, d’arriver à la clinique trop tôt, un samedi. On m’a gardée en clinique sous monitoring, sur le dos, alors qu’une femme a besoin de bouger, marcher, se sentir en confiance. Une heure après on me dit ‘le col ne s’ouvre pas’. J’ai insisté, on me répond sèchement ‘écoutez madame, soit on fait une césarienne maintenant soit il y aura souffrance fœtale’“, raconte Nadia, encore éprouvée. “Ils disent tous ça, on te fait culpabiliser, c’est de la malhonnêteté”, poursuit son mari, qui dit s’être senti “isolé”. “Je voulais l’accompagner en salle d’accouchement, au contraire il m’ont exclu de la situation. ça semblait franchement prémédité, c’est un forcing très clair !”. Pour Bachir, thérapeute, selon qui “l’accouchement normal permet un étirement des membranes intracrâniennes et du crâne favorables au développement de l’enfant, on sous-estime les risques de la césarienne. Le médecin nous a dit ‘ah vous offrez la plus belle naissance à votre bébé’”, rapporte-t-il, sceptique de ce “bourrage de crâne même bien intentionné”, et furieux du “traitement antibiotique postopératoire imposé d’emblée, via l’allaitement, dans le corps du bébé au moment où il constitue ses défenses immunitaires”, alors qu’eux sont tournés vers la médecine alternative.

Date de dernière mise à jour : 05/07/2021

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